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Boubacar Boris Diop : «Senghor, Wade et Diouf avaient une vision, Macky Sall non »

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Les récents événements violents qui ont secoué le Sénégal du 1er au 3 juin 2023, à la suite de la condamnation de Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme, ont suscité de vives inquiétudes et interrogations quant à l’état de la démocratie et de la liberté d’expression dans le pays. Dans une interview accordée au journal français Libération, Boubacar Boris Diop a exprimé son opinion sur ces événements troublants.
Interrogé sur son ressenti face aux violences inédites lors des récentes manifestations, l’écrivain déclare : « J’ai encore du mal à comprendre comment on a si vite touché le fond, avec cette répression inédite des manifestations, les arrestations régulières de militants de l’opposition ou de journalistes. J’apprends qu’on trouve même des corps non identifiés sur les plages proches de la capitale. Qui sont-ils ? Je n’en sais rien, mais cette atmosphère est aussi inédite qu’inquiétante dans ce pays. »

Il a également souligné le fait que malgré ces actes de répression, les Sénégalais continuent de se faire entendre : « Les gens refusent encore de se taire, ils gueulent même ! L’exception sénégalaise, ce ne fut jamais des institutions, en réalité imparfaites. Ou un pouvoir, qui s’est révélé souvent autoritaire. Mais ce fut toujours l’attachement à la liberté d’expression. Jusqu’à présent, elle a toujours été préservée, même dans les phases les plus tendues de notre histoire. Sauf que là, le pouvoir arrête et réprime des voix critiques. Et dit aux autres, les citoyens ordinaires : ‘Cause toujours.’ Bref, les autorités semblent insensibles au mécontentement de la rue. »

L’écrivain sénégalais a ensuite abordé l’héritage des prédécesseurs du président Macky Sall en matière de répression politique : « Senghor, le père de l’indépendance, a effectivement violemment réprimé la contestation. Notamment en 1963. Il a jeté des tas de gens en prison, n’a jamais voulu du multipartisme, et a outrageusement truqué les élections. Mais il a forgé une nation. Et a toujours préservé la liberté de parole. Après lui, son successeur désigné, Abdou Diouf, a renforcé l’Etat sénégalais. Et quand l’alternance est arrivée avec Abdoulaye Wade, [en 2000, ndlr], ce dernier a fait pareil. Ce sont des hommes qui, malgré leurs défauts, avaient une vision. »

L’écrivain a exprimé son inquiétude quant à la situation actuelle du Sénégal : « Pendant toute cette période, dans un pays fraîchement décolonisé, pauvre, pas tout à fait indépendant, le Sénégal n’était peut-être pas un paradis démocratique. Mais les intellectuels sont toujours restés libres de s’exprimer. Et on avait l’impression d’être finalement mieux dotés que nos voisins, victimes de régimes franchement dictatoriaux. Aujourd’hui, pour la première fois, on n’en est plus certains. D’autres pays africains peuvent sembler plus stables, plus tolérants. »

Lorsqu’on lui a demandé ce que le président Macky Sall devrait faire pour sortir de cette crise, l’écrivain a répondu avec prudence : « Ce qui est certain, c’est qu’Ousmane Sonko, le leader de l’opposition, n’est pas le vrai problème immédiat. Peut-être n’a-t-il pas encore la stature pour être un homme d’État ? On verra. C’est bien l’attitude du Président qui pose question. On dirait qu’il manque de vision, d’horizon. Le voilà confronté à des jeunes très déterminés. Ce sont les mêmes qui, jusqu’à récemment, fuyaient la misère en embarquant sur des pirogues vers l’Europe. Désormais, ils sont moins tentés car les contrôles se sont multipliés. Mais ce n’est pas le danger qui leur faisait peur. Et faute de pouvoir fuir la misère, ils sont prêts à en découdre dans la rue pour soutenir Sonko. Macky Sall se retrouve dans une sorte d’impasse. Renoncer à se représenter ou tenter de passer en force au risque du chaos ? J’ai encore l’espoir que le pire n’est pas certain et qu’il saura entendre raison. »

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