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« Y’en a marre » préfère la rue à l’Assemblée

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Le 15 janvier, le mouvement citoyen « Y’en a marre » fêtait ses sept ans d’agit-prop au Sénégal. Alors que l’opposition reste inaudible, le collectif a bousculé le paysage politique mais refuse de s’institutionnaliser en parti.

Au dernier étage d’un immeuble propret de Sacré Cœur 3, un quartier résidentiel de Dakar, la capitale sénégalaise, les membres fondateurs du collectif « Y’en a marre » reçoivent des jeunes, toujours plus nombreux, venus débattre dans leurs murs. Depuis sa création en 2011 par trois copains, les journalistes Cheikh Fadel Barro, Aliou Sané et le rappeur Keur Gui, le mouvement a fait du chemin.

Selon Aliou Sané, ils sont aujourd’hui des « centaines de milliers de sympathisants ». Mais pour ces militants qui se sont fait connaître dans la rue et par la plume, il n’est toujours pas question pour l’instant d’aller grossir les rangs de l’Assemblée nationale. Ses dirigeants préfèrent poursuivre la structuration du mouvement.

« Y’en a marre », sentinelle de la démocratie sénégalaise

Ce soir du 15 janvier 2011, les trois amis sont réunis dans une chambre minuscule éclairée à la bougie, aux Parcelles Assainies, dans la banlieue de Dakar. À l’ordre du jour : « ce président qui se fout pas mal d’eux ». Car, bien que la Constitution l’interdise, Abdoulaye Wade vient d’annoncer qu’il souhaite rempiler après deux mandats présidentiels.

« Y’en a marre » naît du désir de changement d’une jeunesse qui n’a connu que « le Vieux » comme président depuis 2000. Les appels à manifester se multiplient. Wade finit par renoncer. Mais le collectif, lui, y gagne une légitimité de « sentinelle », comme aime à la qualifier Cheick Fadel Barro, le sage du groupe reconnaissable à son bonnet en laine. « Y’ en a marre » entend désormais garder un œil vigilant sur l’action du nouveau chef d’État, Macky Sall.

« Donner aux Sénégalais le goût de la citoyenneté »

La force de « Y en a marre » tient d’abord à son ancrage local. Le programme Dor-a-Sagor (Marcher avec sa localité) a été mis sur pied pour faciliter le dialogue entre habitants et élus locaux. En instituant des réunions deux fois par an, les membres de l’association permettent à chacun de donner son opinion et d’avoir de la visibilité sur le budget municipal.

Le collectif sillonne également le pays, avec des projets comme Citizenmic, concours d’écriture de textes engagés pour aller « au-delà du rap bling-bling et poser des mots sur les difficultés du quotidien », explique le rappeur Keur Gui.

Ces initiatives et toutes les autres assurent une grande popularité au mouvement. Leurs bénéficiaires viennent grossir les rangs des « Esprits », 63 cellules « yenamaristes » qui relaient son action au niveau local dans tout le pays. « Le but est de donner aux Sénégalais le goût de la citoyenneté », précisent les fondateurs qui n’ont rien perdu de l’enthousiasme des débuts.

En fédérant un large spectre de l’opinion, du banquier au vendeur ambulant, le mouvement pourrait ambitionner de créer un parti issu de la société civile, à l’image de certaines expériences européennes. « L’exemple de Podemos pourrait nous inspirer, mais nous n’avons pas la même conscience politique ni la même histoire », explique le rappeur Keur Gui. « Il faut respecter le niveau de maturité de la démocratie au Sénégal et ne pas marcher plus vite que son peuple », ajoute Cheick Fadel Barro.

Structurer le mouvement sans le scléroser

Aux élections législatives de juillet dernier, la question de présenter un candidat a suscité un vaste débat au sein du collectif. Même les proches du président Macky Sall s’y sont mis. Mais les « yenamaristes » ont refusé de briguer un mandat sous l’étiquette du collectif.

« Notre rôle n’est pas de produire de gros rapports mais de prendre le pouls de la société », assume Cheick Fadel Barro, observateur privilégié des ratés du développement dont souffrent les Sénégalais dans la vie quotidienne. « On nous parle de Dubaï, mais on n’a même pas d’eau potable », ironise-t-il.

De nombreux chantiers restent à mener, dont celui de structurer le mouvement. Il existe une charte des « Esprits », mais les statuts n’en sont pas encore fixés. Il n’y a pas non plus de liste officielle des membres. »Une carte d’adhérent est prévue pour le premier trimestre de 2018″, promet Aliou Sané. Quant aux finances, l’association reconnaît dépendre encore de l’argent des ONG européennes.

Mais leur premier objectif reste d’encourager les jeunes à s’indigner et à s’engager en politique. « Pour l’instant, le gouvernement ne laisse que deux choix à notre jeunesse : la mer ou le désert. L’immigration ou la radicalisation. Si, depuis l’indépendance, nous avons des dinosaures à l’Assemblée, c’est de notre faute, notre responsabilité », conclut-il.

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