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Sénégal : Et si certaines indemnités versées à nos députés étaient illégales ?

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Le principe d’allouer une indemnité aux membres de l’Assemblée nationale fut posé pour la première fois par la Constitution de 1959 (article 29). Les Constituants de 1960, 1963 et 2001 ne revinrent pas sur le principe. Ainsi, le dernier alinéa de l’article 59 de la Constitution de 2001 en vigueur dispose : « Une loi organique fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale,leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités ». À notre connaissance, à ce jour, aucune loi organique portant application de la disposition constitutionnelle précitée n’a été adoptée par l’Assemblée nationale.
La question que nous soulevons est celle-ci : l’attribution aux députés d’indemnités et d’avantages en argent ou en nature non prévus par une loi organique est-elle légale ?
Examinons tout d’abord la question de l’indemnisation des députés sortants (A) puis les indemnités et avantages annexes alloués aux parlementaires en activité (B).
A. Concernant l’indemnisation des députés sortants
Dans son édition du 10 octobre 2017 (page 2), le journal Le Témoin Quotidiennous apprend que « les députés sortants partent avec une confortable indemnité de départ (échelonnée de 5 à 10 millions de francs CFA par tête de pipe) plus une parcelle de terrain sise à Tivaouane Peulh ».
Nous avons tenté d’en savoir plus à propos de la base juridique de cette « indemnité de départ » qui s’apparente à une « indemnité chômage ». Mais, nous n’avons pas retrouvé la loi organique qui offre ce joli cadeau aux anciens députés.
La légalité de cette indemnité de départ et de cet avantage en nature se pose si leur fondement juridique se trouve dans une décision du Bureau de l’Assemblée nationale. On se demande si les représentants du peuple ont une bonne compréhension du dernier alinéa de l’article 59 de la Constitution sénégalaise qui renvoie à une loi organique pour fixer les indemnités des membres de l’Assemblée nationale. En effet, par ce renvoi constitutionnel à une loi organique, le Constituant a voulu encadrer le régime indemnitaire des parlementaires et éviter ainsi que ces derniers ne créent ou n’augmentent eux-mêmes leurs propres indemnités et avantages.
Dans l’hypothèse où ces versements d’indemnités aux députés sortants devaient se révéler exacts, il s’agirait d’une violation flagrante de la Constitution. L’argument selon lequel de tels versements ont toujours eu lieu à chaque nouvelle législature ne saurait être accepté. Si l’Assemblée nationale ne sait pas faire la différence entre le droit et les habitudes, alors il y a danger pour notre République.
B. Concernant les indemnités et avantages annexes alloués aux députés en fonction
Présentement, les députés perçoivent une indemnité principale et diverses indemnités ainsi que des avantages annexes. Nous considérons que l’indemnité principale a comme fondement juridique l’ordonnance n° 63-04 du 6 juin 1963[[2]]url:https://mail.google.com/mail/u/0/#m_-233049715106153012_m_-5499707076452863693__ftn2 non encore abrogée dans son intégralité de façon explicite ou implicite. En revanche, pour diverses indemnités et certains avantages en argent ou en nature, aucun texte organique ne les autorise à notre connaissance.
1. L’ordonnance n° 63-04 du 6 juin 1963 fixe une seule indemnité
Dans sa rédaction issue de la loi organique n° 71-43 du 26 juillet 1971, l’article 2 de l’ordonnance du 6 juin 1963 dispose : « Les députés perçoivent une indemnité mensuelle égale au traitement afférent (…) à l’indice maximum de la hiérarchie générale des cadres du personnel de la magistrature, du personnel militaire et des corps de fonctionnaires de l’État. La moitié de cette indemnité est représentative de frais professionnels ». Cette disposition organique est reprise par l’article 101 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
L’indemnité mensuelle prévue par l’ordonnance de 1963 comprend trois éléments : une indemnité de base, une indemnité de résidence et un complément d’indemnité. [[3]]url:https://mail.google.com/mail/u/0/#m_-233049715106153012_m_-5499707076452863693__ftn3
Il ressort des dispositions de l’ordonnance de 1963 que les députés ont droit à une seule indemnité et non pas à plusieurs indemnités. N’empêche que, depuis fort longtemps, sont venus s’ajouter à l’indemnité principale diverses indemnités ainsi que des avantages annexes non prévus par une loi organique publiée.
2. Les indemnités et avantages en argent ou en nature non prévus par l’ordonnance de 1963
a) L’indemnité pour frais de représentation du Président de l’Assemblée nationale
Selon l’article 102 du règlement intérieur du Parlement (voir la loi n° 2002-20 du 15 mai 2002 qui n’est pas une loi organique), « les indemnités de représentation du Président de l’Assemblée nationale sont fixées par référence aux frais de représentation du chef de l’État ».
Nous ne connaissons que l’ordonnance n° 60-18 du 21 septembre 1960 comme texte qui fixe à 200 000 francs CFA par mois l’indemnité pour frais de représentation du Président de la République. Reconnaissons que ce montant est dérisoire et sans commune mesure avec les responsabilités présidentielles. Mais, est-ce que c’est ce montant qui est versé au Président de la République et au Président de l’Assemblée nationale ? Nous nous en arrêtons là. En tout état de cause, le Président de l’Assemblée nationale étant membre de l’institution parlementaire, il ne devrait pas être de la compétence du législateur ordinaire de fixer son indemnité pour frais de représentation.
b) L’indemnité de représentation des membres du Bureau de l’Assemblée nationale, des présidents et vice-présidents des groupes parlementaires, des présidents de commissions et du rapporteur général de la commission chargée des Finances
L’article 102 du règlement intérieur prévoit une indemnité de représentation pour les députés occupant les fonctions énumérées ci-dessus. Il relève de la compétence du législateur organique de fixer ces indemnités.
c) Les avantages en nature des membres du Bureau
Selon l’article 102 du règlement intérieur, « les membres du Bureau bénéficient des mêmes avantages en nature que les ministres ». Ici également, il relève de la compétence de la loi organique et non du règlement intérieur de fixer ces avantages en nature.
Nous pensons que l’Assemblée nationale devrait faire voter une loi organique qui l’autorise à faire bénéficier à certains de ses membres les mêmes indemnités et avantages alloués aux membres du Gouvernement.
d) Les autres indemnités : l’indemnité de fonction, l’indemnité de responsabilité, l’indemnité de logement, l’indemnité kilométrique, l’indemnité forfaitaire, l’indemnité complémentaire.
Nos recherches n’ont pas permis de retrouver les textes organiques qui autorisent le versement de ces indemnités et en fixent leurs taux et règles de perception.
e) Les avantages des présidents honoraires et des anciens Présidents de l’Assemblée nationale.
En ce qui concerne les présidents honoraires et les anciens Présidents de l’Assemblée nationale, le règlement intérieur renvoie à un arrêté du Bureau de l’Assemblée pour fixer leurs avantages. Pourquoi le renvoi à une norme interne ? Le principe d’allouer des avantages aux présidents honoraires et aux anciens Présidents de l’Assemblée nationale ne devrait-il pas être fixé par la loi ?
Avant de conclure, parlons un peu du régime fiscal de l’indemnité parlementaire.
En dehors des cas d’exonération limitativement énumérés par l’article 167 du Code général des impôts (CGI), les indemnités de toutes natures sont imposables à l’impôt sur le revenu (article 164.1 du CGI). Toutefois, la disposition fiscale en question ne saurait être interprétée indépendamment de celle de l’article 2 de l’ordonnance n° 63-04 du 6 juin 1963 qui précise que la moitié de l’indemnité des députés est représentative de frais professionnels ».
Qu’entend-on par « frais professionnels » ? Si nous nous référons à la définition qu’en donne le Dictionnaire du vocabulaire juridique (sous la direction de Rémy Cabrillac, 2e Édition, Litec, p. 192), on peut dire que les frais professionnels d’un député sont des « frais supplémentaires engagés personnellement par le (parlementaire) pour couvrir les charges de caractère spécial inhérentes à la fonction … ».
En énonçant que « la moitié de l’indemnité des députés est représentative de frais professionnels », le législateur organique a voulu, au plan fiscal, que les frais de représentation soient analysés comme des allocations destinées à la couverture de frais inhérents à la fonction de parlementaire et non imposables dès lors qu’ils sont effectivement utilisés conformément à leur destination. Ce qui nous renvoie à l’article 167.3 du CGI qui exonère les « indemnités spéciales destinées à assurer le remboursement de frais inhérents à la fonction ou à l’emploi effectivement utilisés conformément à leur objet, sous réserve de justifications comptables ».
Enfin, une précision qui a son importance. Les avantages en nature, tout comme les avantages en argent, sont à considérer comme une partie de la « rémunération » du député et sont imposables à l’impôt sur le revenuconformément à l’article 164.1 du CGI. En conséquence, les avantages en nature ou en argent doivent figurer dans la déclaration annuelle de revenu du député et de manière générale de tout bénéficiaire de tels avantages qu’il soit chef d’institution constitutionnelle, membre du Gouvernement, fonctionnaire ou magistrat.
En définitive, relèvent du domaine de la loi organique la fixation des indemnités des députés, les règles de perception de ces indemnités et les conditions dans lesquelles ces indemnités peuvent, éventuellement, être cumulées avec d’autres rémunérations publiques. Il est temps de mettre fin à la situation actuelle qui ne peut être considérée comme un vide juridique mais plutôt comme une situation d’illégalité. En conséquence, le vote de la loi organique portant application de l’article 59, dernier alinéa, de la Constitution s’impose.

Par Mamadou Abdoulaye SOW,Inspecteur principal du Trésor à la retraite,Ancien ministre

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