Le Sénégal a inauguré ce jeudi l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD) de Dakar. Une plateforme de transport aérien de standing mondial. C’est dorénavant la nouvelle vitrine du Sénégal. Depuis 12 heures, tous les avions qui entrent au Sénégal ont atterri à Diass à 47 kilomètres de Dakar. Du côté de l’ancien aéroport de Yoff, c’est la morosité. C’est fini. Moins de vie moins d’ambiance comme on l’a toujours connu. De loin, la rupture est nette. Ce haut lieu du trafic aérien n’a plus son charme habituel. La circulation est moins dense, le site clairsemé. Cette vie d’antan pour la retrouver, il faut se rendre à l’aéroport international Blaise Diagne. (Reportage)
Nous sommes bien à l’aéroport international Léopold Sédar Senghor (LSS) de Dakar. Par cette matinée de 07 décembre, un vent léger d’harmattan souffle sur la capitale. A l’aéroport LSS, la mer aidant, la sensation est plus ressentie et c’est agréable.
D’ordinaire, sur site, on est dans le mouv’ : des voyageurs qui vont partir et ceux qui reviennent se croisent et se recroisent, les bruits des chariots rythment l’ambiance des lieux, les familles qui viennent accueillir ou accompagner un parent de retour ou en partance échangent des civilités, de l’émotion et parfois des larmes sont au rendez-vous entre les bises et des salamalecs. On ne verra plus tout ça ici. Sur de l’esplanade de laéroport, le buste de Léopold Sédar Senghor trône majestueusement devant le hall de la salle d’embarquement. Justement parce qu’il n’y a pas foule.
A l’entrée de la salle d’embarquement, cette matinée, les gendarmes en poste ne sont pas sur le qui-vive comme d’habitude. C’est la sérénité totale. Il n’y pas de voyageurs qui défilent non-stop devant eux. Au fond dans la salle, il ne se passe rien d’extraordinaire. On aperçoit juste les différents postes d’enregistrement avec des numéros bien visibles lisibles. Plus rien. Sous la véranda et la longue terrasse rectangulaire aucune ambiance.
Sur la voie perpendiculaire à cette terrasse, il n’y a plus le ballet incessant aussi bien de voitures privées, de taxis ou des véhicules des agences de tourisme, de voyage ou de compagnies aériennes. Sauf dans le parking qui, du reste est aussi clairsemé ce matin.
Les cambistes d’habitude prompts à vous alpaguer et vous proposer du change sont presque inexistants. C’est donc fait ! L’aéroport international Léopold Sédar Senghor est désormais hors service en tant qu’aéroport civil et plaque tournante du transport aérien. Tous les services doivent délocaliser sur site du nouvel aéroport Blaise Diagne, en l’occurrence les activités formelles qui y avaient cours ici. Une nouvelle donne qui ne fait pas le bien de tous, notamment aux acteurs de l’informel.
Les taximen dans l’incertitude
En cette fin de matinée dans le principal parking de l’aéroport un groupe taximen est assis sur les escaliers d’un magasin, l’air désemparé pour certains. Priés de se prononcer sur l’ouverture de l’AIBD et son impact sur les activités à Léopold Sédar Senghor, ils hésitant à se lancer. Sur notre instance, ils finissent par céder. «Personne n’est content ici», lancent-t-il simultanément dans le désordre, quelque peu amers. L’air plaisantin et provocateur, Mamadou Diouf, joue sa note discordante, en solo en répliquant «Moi, je suis très content». – «C’est faux ! C’est un perturbateur…», nous lance un autre à propos de Mamadou Diouf comme pour l’empêcher de faire entendre sa petite musique, lui aussi.
En fait ce qui se passe, c’est que les taximen de l’aéroport de Dakar, avec l’ouverture de l’AIBD sont dans le pétrin. Ils voient leur gagne-pain leur échapper comme de l’eau dans les 5 doigts. Ils ne sont pas tous admis pour travailler à l’AIBD. Les autorités auraient sélectionné des taximen dont les voitures ont moins de 10 ans d’âge, notamment les taxis iraniens que l’ancien président avait introduits dans le pays. C’est après ce tri que quelques taxis officiant à l’aéroport de Dakar ont été ajoutés à la liste pour aller travailler à Diass. Raison du mécontentement noté ici. A l’unisson, les taximen de l’aéroport Léopold Sédar Senghor dénoncent une discrimination dans le processus de sélection des taxis pour le nouvel aéroport. C’est le cas de Bachirou Loum, ce jeune de 32 ans, natif de Touba, parle de «ségrégation». « Beaucoup de taximen seront en chômage », dit-il.
Abdoulaye, la quarantaine a été le premier à se porter candidat pour prendre la parole face à nous. Vêtu d’un caftan ensemble bleu foncé, les lunettes fumées posées sur le front, il se confie sans réserve. «On n’est pas content. Ça fait des décennies qu’on est là. Ils sont venus ici prendre quelques taxis seulement. Ils devraient prendre les taxis ici d’abord avant d’aller prendre ailleurs. Il y a la ségrégation », martèle Abdoulaye, très en verve et adossé à un taxi. «Nous, on nous a laissé en rade. C’est la souffrance qui commence. Le taux de chômage va augmenter», a-t-il ajouté. Selon lui, sur une association de 300 taximan, la moitié n’a pas été retenue pour travailler à l’AIBD.
Mamadou Diouf qui avait l’air peu sérieux revient à la charge, décidé à faire entendre son solo. Il prend un air plus sérieux, mais sa position n’a pas fléchi d’un iota. Pour Mamadou, c’est que ses collègues veulent «la vie facile» parce qu’avant, ils pouvaient prendre un étranger de l’aéroport de Dakar jusqu’en ville pour 30 euros (environ 15.000F cfa). Une opportunité qu’ils ont définitivement perdue. D’ailleurs, même ceux qui sont admis à Blaise Diagne, ne pourront faire comme ils veulent car les règles là-bas sont strictes en matière de prix. «Ils veulent l’argent facile », a estimé Mamadou Diouf. Taximan depuis 1988, il ne manifeste aucun signe de pessimisme face à cette situation et veut tout remettre dans les mains de Dieu. «Dieu est partout, il est à Diass, il est à Dakar, partout », confesse-t-il.
« C’est fini, c’est fini. Ce n’est pas la fin du monde. C’est Dieu qui décide. Ce n’est pas Macky Sall. Pourquoi pleurnicher ? s’interroge-t-il. Tu as ton métier, tu as ton taxi, tu peux aller ailleurs chercher des clients, conseille encore Mamadou Diouf à ses collègues taximen.
Diouf est foncièrement dans une attitude positive et refuse de dramatiser. La philosophie de ce quarantenaire, consiste à dire qu’il y a des gens qui sont malades ou qui sont mortes, donc ne peuvent plus rien faire. A contrario, toi qui vis et tu as la santé pourquoi te plaindre au lieu de te battre. Une belle leçon de vie certes, mais que ne partagent pas ses camardes. Remontés contre le président Sall, certains ont déjà pris la décision de lui asséner un vote sanction en 2019.
Des Fast-food dans l’attente d’hypothétiques clients
Le célèbre Fast food Tangus installé depuis un an prêt du hall d’embarquement aussi croise les doigts. Les tables dont dressées, avec chacune un parasol au milieu, dans un périmètre relativement spacieux, mais les clients se font attendre. La jeune dame qui gère s’ennuie visiblement de n’être pas occupée à servir les clients. «Vous voyez-vous même, c’est tout à fait calme », nous répond-t-elle à la question de savoir comment va le marché ce jour. C’était ainsi depuis quelques jours, mais «aujourd’hui, c’est pire», assure-t-elle. A Diass, cette startup de la bouffe a essayé d’obtenir un coin pour poursuivre son business, mais impossible d’obtenir un emplacement. «Ils nous ont dit que ce n’est pas possible d’avoir un local. On va se déplacer mais on ne sait pas quand», affirme-t-elle.
Pour cette autre dame, gérante d’une boutique de transaction dans la zone du fret depuis 2 ans, c’est la fermeture pure et simple. Assise derrière son comptoir, l’air triste, elle explique que depuis ce matin, il n’y a pas d’activités. «On va fermer. On est en train de chercher dans les alentours de Yoff ou à Sacré-Cœur sur la VDN ». En tout cas, ne serait qu’à cause de la distance et le coût de la location, elle n’est pas prête à aller travailler à Diass.
Du côté des agences de voyage, on espère que Diass tiendra ses promesses.
Le responsable d‘une agence de voyage, qui a requis l’anonymat trouvé en train de gérer les perturbations induites par ce déménagement avec ses clients, nous assure qu’il est contre la fermeture de Léopold Sédar Senghor. «Je ne suis pas d’accord pour la fermeture de LSS ». A son avis, les deux aéroports devraient pouvoir fonctionner en même temps afin que les passagers puissent avoir la possibilité de choisir. Imposer un seul choix au voyageur est «un forcing» inacceptable.
L’autre problème que soulève cet agent, c’est le chamboulement du fait qu’à cause de la distance, certains voyageurs peuvent être en retard, certaines heures doivent être changées. Pour ce qui est de l’AIBD, l’homme apprécie le cadre à sa juste valeur, mais quant au coût de l’acquisition des espaces, cela reste exorbitant. «C’est mieux, seulement que c’est loin. C’est plus luxueux, plus accueillant et la qualité de service requis», avoue-t-il avant d’admettre que c’est cher parce que le mètre carré coûte 100 euros. Même musique presque chez les transitaires.
Le Transit Moderne du Sénégal (TMS) pour sa part, parle de précipitation dans le déménagement, même s’il avait été informé à temps.
Dame Ndiaye, le chef de service de TMS trouve aussi que les coûts d’acquisition de locaux à l’AIBD sont très élevés, même si c’est plus spacieux. Dans le village cargo, TMS aura un espace de 150 m2 à raison de 20.000F le mètre carré. Pour le moment, la structure a juste obtenu un bureau provisoire de 20 m2
Tout de blanc vêtu, en basin, l’homme porte également un chapeau de couleur blanche. Ce que Dame Ndiaye apprécie le plus à l’AIBD, c’est «la commodité», «la rapidité». Aussi du fait de l’espace, il y aura plus des avions cargo, et plus y en aura, plus il y a plus d’activités pour nous. C’est donc une belle affaire.
Jusqu’ici vitrine du Sénégal, l’aéroport de Yoff, à compter de ce jour ne sera pas plus le passage obligé de voyageurs entrant au pays de la teranga par les airs. L’inauguration de l’aéroport Blaise Diagne ce jeudi, marque la cessation immédiate des activités de l’aéroport Léopold Sédar Senghor en tant qu’aéroport civile. Durant plusieurs décennies, ce site a vu défilé des millions d’étrangers ou de Sénégalais transiter par cette plateforme. C’était le seul aéroport civil du pays depuis 1947.
Proche du centre-ville, l’aéroport de Yoff est situé près du village de Yoff au nord-ouest de Dakar. Au sud de l’aéroport se situe la base aérienne 160 Dakar-Ouakam de l’armée de l’aire française fermée en 2011 et une base de l’armée de l’air. D’ailleurs, avec l’ouverture de l’AIBD, cet ancien aéroport sera récupérer par l’armée selon une décision de l’Etat.