Le dépit qui a submergé le vieil homme assombrit son visage. En ce frais matinée de bonheur, les nouvelles qui lui parviennent, à travers la radio mal captée du minibus, ont de quoi apeurer. «Chaque jour, c’est comme ça maintenant. Soit on a droit à un braquage, soit à un cambriolage. On se croirait chez les blancs», crache-t-il, hochant sa tête engoncée dans un gros bonnet noir. Ses mots sonnent comme le coup d’envoi d’un débat qui plonge le véhicule dans un brouhaha indescriptible.
8 attaques en 25 jours
Le vieil homme venait de dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. En effet, depuis quelques temps, le Sénégal vit une période où les braquages et cambriolages s’installent dangereusement dans le quotidien des sénégalais. Du 19 novembre 2016 au 16 février 2017, au moins 10 ont été perpétrés sous nos cieux, décompte Seneweb. Pis, 8 attaques ont été dénombrées en seulement 25 jours, entre le 23 janvier et le 16 février.
Pourtant, le mal s’annonçait déjà à la fin de l’année 2017. En effet, dans la nuit du samedi 19 novembre 2016, alors que les disciples mourides rallient Touba pour aller y célébrer le Grand Magal, des individus armés attaquent la Caisse de sécurité sociale de Louga. Ils cambriolent l’agence et emportent avec eux une forte somme d’argent. Le même weekend, à mille lieues de là, une bande armée braque l’Agence Boa de Nord foire et vide ses caisses. Ce sera le point de départ d’une série de braquages et de cambriolages qui frappera Dakar, Rufisque, Sédhiou, Louga, Toubacouta, Thiès etc.
Au moins 6 localités frappées
2017, nouvelle année, nouvelles attaques. Dans la nuit du 23 janvier, alors que les honnêtes citoyens se reposent après une dure journée de travail, des individus encagoulés, armés jusqu’aux dents, prennent d’assaut l’agence Ecobank de Yeumbeul. Venus à bord d’un véhicule L200, ils ligotent le vigile, arrachent la grille de protection de l’agence et emportent avec eux 111 millions de francs Cfa. Comme dans les séries américaines, un échange de tirs éclate entre une patrouille de police et les malfaiteurs, mais ces derniers réussiront à s’éclipser après une course poursuite dans les rues de la banlieue. Les Yeumbeulois n’en croient pas leurs yeux!
Février, la frénésie des attaques …
Février 2017, les choses s’emballent. Le 12 du même mois, des cambrioleurs frappent au quartier Mansacounda de Sédhiou et vident les caisses d’une boutique de téléphonie. Le lendemain, aux Ciments du Sahel, des camionneurs maliens sont attaqués et dépouillés de leurs biens. Deux jours après, le rythme des attaques monte d’un cran. Le jeudi 16 février, comble de l’audace : la banque atlantique est braquée en plein jour à la Sicap Liberté 5. Le même jour, l’Etablissement Mouhamed Mar, à Liberté 6, et une agence Wari à Castors reçoivent la visite des braqueurs. Au moment où les limiers s’occupent de ces cas encore chauds, les braqueurs frappent à l’hôtel “Les palétuviers” de Toubacouta et à la station-service Edk de Thiès. L’ampleur que prend le phénomène surprend. L’inquiétude croit petit à petit.
Colonel Ndiaye : «J’ai l’impression que c’est une seule bande qui frappe»
Interrogé par Seneweb, le colonel Alioune Ndiaye, policier expérimenté, ancien patron du Bureau des relations publiques de la police (Brp) pense que c’est la même bande qui opère.
«Moi, j’ai l’impression que c’est une seule bande qui est en train de frapper un peu partout. Les coups sont similaires. Ils arrivent avec des armes, parfois encagoulés, parfois non. Ils font peur, mais ils ne tuent pas. C’est comme ça qu’ils ont opéré à Yeumbeul et à la Sicap Liberté 6. A Edk Thiès, c’est la même chose. Donc pour moi, c’est la même bande, dont le nombre évolue selon les occasions. Tantôt ils prennent quelqu’un qui est fort en ouverture de serrures, tantôt ils prennent quelqu’un qui est fort en conduite automobile parce qu’ils doivent cavaler très vite pour aller à Thiès», analyse le Colonel Alioune Ndiaye, porte-parole de la police à la retraite, ayant capitalisé de nombreuses années d’expérience.
Le 1er braquage sénégalais et la bande à la Kalachnikov
Mais, aussi rocambolesques et aussi inhabituelles qu’ils puissent paraître, ces cambriolages ou braquages ne sont pas nouveaux au Sénégal. C’est ce que renseigne le colonel Ndiaye. «Le premier braquage au Sénégal, c’était vers les années 60, un peu après l’accession de notre pays à l’indépendance», rafraichit-il la mémoire. L’ancien homme de tenue se souvient aussi de la redoutable bande à la Kalachnikov qui sévissait durant les années 80. «J’ai eu à travailler sur un gang de braquage qui faisait exactement la même chose que ce gang. C’était en 1989 déjà, à Dakar. On les appelait la bande à la Kalachnikov. Donc ce n’est pas aujourd’hui que Dakar connait ses premiers braquages», insiste-t-il.
«Aujourd’hui, ils ont plus d’audace»
Mais, ces derniers jours, ce qui frappe le colonel Ndiaye, c’est surtout l’audace avec laquelle opèrent ces bandes. Et notre pays va devoir se préparer solidement à affronter de tels genres de cas. «Aujourd’hui, il y a plus d’audace et de cran. Cela est dû au fait que les gens sont plus aguerris, les délinquants sont mieux informés, ils sont mieux armés, mieux outillés. Abidjan en a connu, Lagos, Accra aussi. Dakar est arrivé à un niveau économique tel que nous allons commencer à connaitre ce genre de pratiques. Donc il faut s’y préparer. Le mal, ce n’est pas de connaitre ce genre de situation, mais de ne pas savoir réagir», explique-t-il.
Ce qu’il faut faire
Le colonel Ndiaye souligne qu’il faudra réagir avec «une réponse policière» forte. Puis, mettre en place un dispositif de veille qui arrivera à dissuader et, à défaut, de pouvoir mettre rapidement la main sur les auteurs de tels types de forfaits. Les services de police doivent aussi asseoir un dispositif de prévention qui ne sera pas que policier. Les établissements bancaires ou financiers, eux aussi, devront mettre la main à la pâte. «Les banques et établissements financiers ont un rôle important dans ce dispositif de sécurisation. D’abord, ils doivent avoir des préoccupations sécuritaires avant de s’implanter quelque part. Ensuite, ils doivent avoir un bon équipement. Il faut aussi adopter des comportements sécuritaires», recommande l’ancien porte-parole de la police.
Les autres aspects non moins importants, c’est la collaboration entre les forces de police et les autres agents de sécurité et surtout, multiplier les patrouilles. «Quand on est statique quelque part, on ne sait pas ce qui se passe derrière. Il faut prendre en charge toute une zone en bougeant à l’intérieur de la zone, en ayant des points focaux ou des informateurs pour qu’à chaque fois qu’il se passe quelque chose au Nord ou à l’Est qu’on puisse vous avertir. Et que ce dispositif de patrouille puisse bloquer une bande armée en attendant de recevoir des renforts», suggère-t-il. Mais, malheureusement, aussi performant qu’il soit, aucun dispositif ne permettra d’acquérir une sécurité à 100%, avertit-il.
L’adjudant Henry Ciss, porte-parole de la police, embouche la même trompette. “La sécurité est une affaire transversale. Elle implique beaucoup d’acteurs. Il faut que la police soit accompagnée par des partenaires. Ça peut-être les communes, les mairies, les mouvements associatifs etc. On ne peut pas accomplir cette œuvre sécuritaire si grandiose sans l’apport des populations”, reconnaît-il.
En attendant que les stratèges de la sécurité trouvent le moyen de mettre hors d’état de nuire ces bandes de malfaiteurs, les braqueurs poursuivent leurs razzias, poussant les populations à se barricader de plus en plus. La peur est dans le camp des populations…