Les enseignants testés positifs avancé comme argument pour expliquer le report de la reprise des cours, prévue le 2 juin, peine à convaincre. Certains se demandent ce que serait le protocole sanitaire dans le public, alors que d’autres s’interrogent sur le rôle du privé catholique.
Lundi 1er juin à 23h, coup de tonnerre ! La reprise des cours prévue le 2 juin n’aura pas lieu. Le chef de l’Etat Macky Sall a décidé de suspendre le retour en classe des 551 000 élèves en classe d’examen et de leurs 97 000 enseignants. La raison officielle sera servie dans la nuit : il y a des enseignants qui ont été testés positifs au Covid-19 à Ziguinchor, 10 enseignants précisément. La prudence recommande donc de ne pas exposer les acteurs de l’école. C’est du moins la thèse défendue par les tenants du pouvoir.
Or, vu les conditions de transport catastrophique, la thèse est plus que plausible. Et le discours revanchard des syndicats participe davantage à accréditer cette version. Seulement, fait remarquer un interlocuteur sous anonymat, depuis cette découverte de Ziguinchor, il n’y a pas eu de vague de contamination chef les hommes de la craie. Malgré la stigmatisation et quelques cas signalés ça et là, il n’y a eu le déluge redouté…en attendant les 14 jours d’incubation.
L’autre fait avancé est que le Président Macky Sall est l’homme le plus informé du Sénégal. « Je présume que le Chef de l’État a dû disposer des informations alarmantes de dernière minute », relève l’ancien ministre de l’Education, Kalidou Diallo, dans une interview accordée à Seneweb. Soit ! Il y a toute de même un fait qui suscite interrogation chez certains. Car beaucoup ont du mal à se satisfaire de la version officielle. « Pourquoi reporter la reprise des cours et 48 heures après autoriser le transport interurbain, les restaurants, réduire le couvre-feu. Si l’Etat avait prévu d’ouvrir les vannes comme il l’a fait le jeudi 4 juin, pourquoi empêcher alors la reprise prévue le 2 juin », s’interroge cet interlocuteur.
C’est d’ailleurs cette incohérence que les collaborateurs de Mamadou Talla essaient de souligner depuis lors dans leurs différentes interventions. « Il est paradoxal que les mêmes Sénégalais qui réclament le déconfinement du pays nous demandent de fermer l’école à 551 000 élèves et à 97 000 enseignants », s’offusque Mamadou Moustapha Diagne, porte-parole du ministère de l’Education.
La pression du privé catholique
Dans une tribune parue dans plusieurs médias, Massamba Thiane de l’équipe de communication du ministère renchérit : « Difficile de croire que les conditions de voyage que nous réservent les cars Ndiaga Ndiaye ne seront pas pires que celles observées lors des départs au Rond-point Liberté 5 (…) ». Thiane de se demander alors si « Mamadou Talla ne pourrait pas réunir à nouveau sa famille dans des salles de classe aérées avec son plan de 20 élèves (là où le bus de Balla réunit 45 passagers de Dahra à Dakar) par salle avec un dispositif de distanciation physique conformément au protocole ? ».
Il est clair donc, même du côté du ministère de l’Education, que l’argument des enseignants testés Covid-19 ne suffit pas à expliquer le revirement de dernière minute.
De quoi trouver d’autres arguments. Parmi ceux-ci, il y a la pression exercée par l’école privée, particulièrement le privé catholique. En fait, le lundi 1er juin, après que le ministre Mamadou Talla ait réaffirmé vers 20h la détermination du gouvernement à aller vers l’ouverture des écoles le 2 juin, l’office diocésain de l’enseignement catholique a sorti un communiqué pour dire que, dans ses établissements, la reprise n’aura pas lieu le mardi 2.
« Nos écoles ne sont pas prêtes à recevoir les élèves le 2 juin pour non respect du protocole sanitaire par les responsables dédiés ». Le privé qui dit avoir pris la pleine mesure de ses responsabilités décide, par conséquent, de se donner le temps de se réparer pour accueillir les élèves dans les conditions optimales. « La rentrée est donc fixée le 4 juin, avec l’espoir, souligne le communiqué, que l’autorité compétente prenne le taureau par les cornes ».
C’était donc un acte de défiance vis-à-vis de l’Etat, une pression sur le pouvoir.
En fait, le privé catholique pointe du doigt la responsabilité de l’Etat. Le message est plus explicite dans la circulaire que le collègue Hyacinthe Thiandoum a sortie à cet effet. «L’Etat avait promis de doter tous les établissements, publics comme privés, de tout le matériel sanitaire nécessaire selon un protocole qu’il a lui-même décrété. Or, la réalité c’est que nous n’avons pas reçu ce qu’il fallait pour reprendre les cours dans les conditions sanitaires adéquates», souligne la note.
Deux jours avant, l’institution notre dame de Dakar a posté sur sa page facebook le matériel reçu pour exprimer son indignation. Sur la photo, on voit une poubelle et un robinet, une bouteille de savon liquide ‘’madar’’, un flacon de gel et un termoflash. Le tout accompagné d’un commentaire : «Voici la dotation que l’institution notre dame a reçue de l’Etat pour faire face à la reprise du 2 juin. Quelle tristesse pour notre éducation ».
Mamadou Talla et Cie pas convaincus de la thèse officielle
Et la pression semble avoir porté ses fruits au vu de l’arbitrage final du chef de l’Etat. « Il est clair que cette décision du privé a eu son pesant d’or. Car, ça pouvait être un véritable camouflet pour l’Etat », souligne un interlocuteur. D’ailleurs, 48 heures après cette dissidence, le chef de l’Etat va aborder la question en conseil des ministres le mercredi 3 juin, en demandant à Mamadou Tall « de renforcer l’accompagnement de l’Etat au fonctionnement adéquat des établissements privés ».
En vérité, le problème de l’accompagnement avait déjà été posé lors des réunions préparatoires, indique une source. Le privé réclamait à la fois la subvention annuelle, mais aussi des moyens matériels en termes d’accompagnement. Mais le ministre Talla n’a pas été clair sur le sujet. Finalement, une petite dotation leur est parvenue, sans la subvention. Et le mécanisme prévu pour des prêts accessibles dans les banques n’a pas fonctionné. Une somme de frustration qui a finalement braqué le privé contre le ministère.
Cette attitude sur l’école rappelle d’ailleurs celle de l’Eglise qui n’a pas pris du temps pour prendre le contrepied du chef de l’Etat sur l’ouverture des lieux de culte. Le 11 avril, à peine Macky Sall a terminé son discours qu’il est désavoué par l’évêque André Guèye du Diocèse de Thiès. « Pour nous, cela ne signifie encore pas la reprises des célébrations publiques, avec la présence du peuple », indique-t-il dans un communiqué aussitôt après le discours à la nation. La province ecclésiastique de Dakar va confirmer, 2 jours plus tard, « la suspension des messes de caractère public ».
L’autre argument pour expliquer le revirement dans la nuit du 1er juin réside dans l’insuffisance du dispositif dans l’école publique. Ici aussi, manifestement, le dispositif sanitaire ne pouvait pas être respecté, le 2 juin. Mamadou Talla et ses services le savaient d’ailleurs. Mamadou Moustapha a déclaré, dans une de ses sorties, que la reprise le 2 juin, c’est comme le concept ‘’ubbi tey, jang tey’’. La volonté y est, mais cela ne veut pas dire que les cours vont forcément démarrer le jour-j.
Enseignants positifs : « Il y aura d’autres cas, mais on fera avec »
Son patron Mamadou Talla ne dit pas autre chose. « S’il y a un établissement qui n’a pas tout ce qu’il faut, il n’ouvre pas. Le 2 (Juin), ce n’est pas une course où il faut ouvrir » coûte que coûte, déclare Talla. La tutelle savait donc que tout n’est pas prêt. « Je pense que le ministère était déterminé pour le 2 juin, prêt même à assumer les manquements ».
C’est alors à ce moment qu’intervient la décision du chef de l’Etat pour mettre un terme à tout. Est-ce parce que 10 enseignants ont été testés positifs à Ziguinchor, comme le veut la version officielle. Le ministre lui semble peut convaincu. Mamadou Talla rappelle que deux enseignants ont été testés positifs à Ziguinchor avant même le convoyage. « Il y a ce cas, il y aura peut-être d’autres cas, mais on fera avec », déclarait-il le dimanche 31 mai sur la Rts, tout en précisant que le protocole sanitaire a prévu ce cas de figure.
Est-ce la pression du privé catholique ? A noter ici qu’il est moins une question de confession que de classe sociale, puisque ce sont les enfants des nantis, chrétiens comme musulmans qui y étudient ? « Ce sont les riches qui ont le plus à craindre pour leurs enfants en cas de manquement au protocole sanitaire. Mais si vous allez dans la banlieue et dans certains quartiers populeux, les enfants sont dans la rue, totalement exposés. A la limite, ils sont mieux protégés à l’école, même avec des manquements », souligne un interlocuteur.
Faut-il écarter alors les nombreux couacs déjà notés dans le public, avant même le retour des élèves ? Certainement non, vu l’hostilité de beaucoup de parents d’élèves et même d’une bonne partie des apprenants. Au finish, il y a sans doute du tout à la fois pour expliquer le revirement de dernière minute du chef de l’Etat.